Le projet du livre, Les voix de la diversité : unies contre le racisme, s’inscrit dans la mouvance de l’inclusion et de l’ouverture. Il s’agit du premier livre du département de français du Collège Vanier qui aborde ce thème à caractère pédagogique et émancipateur. En ce sens, il saura inspirer d’autres personnes. Cet article vise à faire prendre conscience que la perpétuation du racisme n’est pas un hasard, elle est tout simplement le fruit d’un passé traumatisant et profondément violent. Il a pour but de révéler comment l’école joue un très grand rôle dans la lutte contre le racisme. Comme l’affirme Ibram X. Kendi (2019):
Personne ne devient raciste ou antiraciste. Il est seulement possible d’aspirer à l’être l’un ou l’autre. Inconsciemment, d’aspirer à être raciste. Consciemment, d’aspirer à être antiraciste. Comme lorsqu’on combat une dépendance, être antiraciste exige une conscience de soi persistante, une autocritique constante et une introspection régulière (Kendi, 2019, p. 37).
Les micro-agressions, la passivité, les silences, les rapports de domination qui rendent l’Autre invisible, constituent des terreaux fertiles pour le racisme. Ainsi, cet article démontre comment le milieu scolaire est fondamental dans la lutte contre le racisme, puisqu’il est le reflet de la société.
Les Noirs dans le milieu scolaire et la société
Plusieurs recherches ont mis en évidence la situation des jeunes Noirs dans le milieu scolaire québécois indiquant explicitement les obstacles auxquels ils sont confrontés. De ces études se dégagent, les différentes formes que prennent le racisme, les préjugés et l’exclusion dans le milieu scolaire L’absence de Noirs dans les manuels scolaires ainsi que la représentation négative de leur communauté sont quelques éléments qui sont des obstacles à leur réussite. Ces problèmes qui ressortent explicitement des recherches se reproduisent dans la société québécoise. Encore aujourd’hui, les Noirs sont la minorité la plus touchée par l’exclusion sociale et la discrimination au Québec, et ce, malgré leur présence qui date du XVIIe siècle.
Autrement dit, que ce soit au sein de la société, dans les manuels et le milieu scolaire, les recherches ont mis en évidence la marginalisation et la discrimination que subissent les Noirs encore aujourd’hui, ainsi que l’absence significative des Noirs dans les manuels scolaires.
Dans la mesure où, la société québécoise insiste tant sur des attitudes d’ouverture, le rôle de l’école est de transmettre des images positives de certains groupes qui ont longtemps été représentés d’une façon négative ou qui « sont encore sujets au racisme » (Mc Andrew, 1987, p. 11) et de souligner les rapports de pouvoir et inégalitaires qui a marqué leur histoire au Québec. Le milieu scolaire doit aussi présenter « la valorisation de la diversité culturelle et de l’échange interculturel comme une richesse pour l’ensemble de la société » (Mc Andrew, 1987, p. 11).
C’est dans cette perspective que ce livre, en collaboration avec mes étudiants des cours Voix Afro-Antillaise et Écrits afro, a été écrit. Le but était de leur faire prendre conscience que :
- Les stéréotypes et le racisme anti-Noir, qui perdurent, prennent racine dans une histoire d’oppression et de dévalorisation.
- La parole pour soi est fondamentale pour combattre l’oppression et tout rapport de domination.
Les stéréotypes et le racisme anti-Noir
À travers différents genres littéraires, tels que les récits d’esclaves ou la Négritude, les étudiants apprennent que les stéréotypes et le racisme anti-Noir proviennent de l’esclavage des Noirs et de la colonisation. Malheureusement, ces événements sont quasi inexistants des manuels scolaires ; ou ils sont grevés d’omission, et la mémoire des Noirs ainsi que leur voix sont quasi absentes. Dès lors, comment envisager une meilleure compréhension du présent à la lumière du passé ? Comment concevoir un meilleur vivre ensemble dans la société ? Le racisme anti-Noir se manifeste par la façon négative et stéréotypée dont les Noirs sont représentés : leur identité, leur histoire, leur mémoire. Le racisme anti-Noir s’exprime aussi par la banalisation de faits historiques qui ont profondément marqué les Noirs ; notamment on le voit à travers des évènements qui sont récurrents au Québec, tels que le blackface ; et aujourd’hui la banalisation du N-word qui comporte l’empreinte historique des crimes qui ont été commis et surtout, il porte en lui la tragédie de l’esclavage, de la colonisation, de la violence extrême et du racisme. DiAngelo (2018) fait remarquer: « Anti-blackness is rooted in misinformation, fables, perversions, projections, and lies. It is also rooted in a lack of historical knowledge and an inability or unwillingness to trace the effects of history into the present » (DiAngelo, 2018, p. 94). Ainsi, faire la lumière sur ces histoires dramatiques, est primordial pour transformer les comportements. Même si l’esclavage et la colonisation ont été abolis, leur idéologie est restée bien présente dans la société. Dans ce sens, l’école peut être un vecteur de transformation, car elle peut préconiser les fondements d’une société démocratique, pluraliste et inclusive.
Il ne suffit plus de faire la promotion de la diversité, il faut changer les attitudes issues d’un passé sombre qui continue d’agresser, de violenter et d’ « invisibiliser » les Noirs, et ce, d’abord et avant tout dans le milieu scolaire.
Le livre Les voix de la diversité : unies contre le racisme est aussi un projet d’éducation sociétale. Il est une prise de conscience des embûches qui font obstacle à l’ouverture et au vivre ensemble : la méconnaissance de l’Autre, de soi et du passé ; c’est ce qui fait en sorte que ces idéologies et ces attitudes perdurent. Walker (1980) souligne que les jeunes blancs, ayant intériorisé les histoires erronées sur les Noirs, reproduisent et perpétuent les préjugés et les stéréotypes dans la vie de tous les jours.
Ainsi, avant la rédaction de ce livre, l’étudiant est exposé à plusieurs genres littéraires : le récit d’esclave (Slave narratives), la Négritude, la Créolité, etc. L’objectif étant de :
- Comprendre l’Autre et de développer de l’empathie.
- Se comprendre : ses attitudes, sa façon, parfois erronée, de voir l’Autre.
- Transformer sa relation à l’Autre.
- Comprendre la société et les inégalités raciales qui prennent leur source dans des histoires d’injustice et d’oppression.
Prendre conscience des racines des stéréotypes et du racisme anti-Noir permet de transformer les attitudes et les façons de penser.
La parole pour soi : pour combattre l’oppression
La parole est un outil essentiel pour l’être humain. Dalmas (2016) soutient que ne pas pouvoir maîtriser ou accéder à cette parole infériorise l’individu.
La maîtrise de la parole donne une forme de pouvoir. A contrario, ne pas avoir cette maîtrise infériorise l’homme. Tous veulent dominer, et ils veulent que leur parole soit un outil pour arriver à leurs fins. La parole est une clef d’une domination, peu importe que nous ayons à faire à un discours religieux ou politique. Il serait juste de dire que la parole sert à vouloir exercer une certaine emprise sur une personne (Dalmas, 2016, p. 7).
Ce qui était le plus significatif, pour moi dans le milieu scolaire, en tant qu’étudiante, et plus tard professeure racisée, c’était l’invisibilité marquée des Noirs, mais surtout l’absence de leur voix dans leur propre histoire et leur propre réalité. L’appropriation de leur identité, de leur culture, de leur voix, et souvent de façons négatives ou stéréotypées, et ce, sans prendre en considération leur présence, est marquante. Ceci a pour effet de les rendre carrément invisibles dans l’établissement scolaire. Des personnes étrangères à leur groupe prennent la parole à leur place, sans tenir compte de leur présence. Cette posture de domination, où on s’approprie de la voix et de la réalité de l’Autre, et ce, en sa présence, fait écho au concept de Bourdieu (1997) : la « violence symbolique » qui est le premier mécanisme des rapports de domination. Il rappelle que la « violence symbolique » est un procédé de domination qui contribue à renforcer les inégalités. Or, les rapports de domination Noir-Blanc prennent racine dans un passé d’oppression qui a perduré pendant près de 200 ans au Québec. Cette réalité ne peut plus être ignorée et passée sous silence, car certaines attitudes esclavagistes et colonialistes sont restées au sein de la société. Cette posture de domination où on s’empare de l’Autre, de sa voix, de son identité, de sa réalité s’apparente à celui des esclavagistes qu’on retrouve dans les récits d’esclaves. À l’époque de l’esclavage, les Noirs étaient considérés comme des biens meubles. Alors, on parlait à leur place, ils étaient inexistants et invisibles. Ainsi, l’appropriation, l’invisibilité, l’exclusion et le mutisme des Noirs prennent racine dans une histoire d’oppression qui perdure aujourd’hui. Il ne suffit plus de faire la promotion de la diversité, il faut changer les attitudes issues d’un passé sombre qui continue d’agresser, de violenter et d’ « invisibiliser » les Noirs, et ce, d’abord et avant tout dans le milieu scolaire.
Par conséquent, les étudiants ont été exposés à des auteurs abolitionnistes Noirs qui ont pris la parole pour eux-mêmes. Malheureusement, dans les manuels d’histoire au Québec leur voix, leur lutte et leur résistance sont tues. Les héros, les abolitionnistes Noirs ne figurent pas dans ces livres ; alors que ce sont leurs voix retentissantes qui ont mis fin à des siècles d’oppression. Les étudiants ont donc constaté le pouvoir de la parole pour soi pour contrer l’oppression et les rapports de domination issus de l’esclavage et du colonialisme. La parole pour soi est donc un acte émancipateur qui combat tout rapport d’oppression, et ce, même aujourd’hui.
Danielle Altidor
is a French teacher.
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Dalmas, É. (2016). La parole, outil de domination ?
. Repéré à
https://scl.hypotheses.org/files/2017/01/Parole-outil-de-domination.-Emilie-Dalmas.-2016.pdf
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